Aussi loin que je me souvienne, j’ai commencé à entreprendre dès l’âge de 8 ans. Comment ? En troquant en masse des jouets, obtenus dans les Happy Meals de Mc Donald’s, contre des billes. Idée qui ne m’a pas toujours valu la sympathie de mes directeurs et de quelques parents d’élèves. Mais intuitivement, j’avais déjà intégré les principes d’avantage concurrentiel et de domination par les coûts. Je dois avouer que je disposais d’une source d’approvisionnement quasi-gratuite.
Ceci m’a amené naturellement à rêver d’entrepreneuriat à plus grande échelle. Par exemple avec la création d’une marque automobile ou d’une compagnie ferroviaire. Cela me paraissait normal d’avoir de telles ambitions. Cependant, je réalise avec le recul que ces expériences cocasses m’ont surtout fourni de nombreux enseignements. Cet apprentissage ne m’a pas seulement été utile par rapport à mon parcours d’entrepreneur. Mais aussi dans ma vie professionnelle au sens large, et ma vie personnelle. Si c’était à refaire, je recommencerais en créant encore plus de projets. Et c’est pourquoi je recommande à tous les jeunes d’expérimenter. Afin de mieux appréhender leur future vie professionnelle.
Entreprendre pour comprendre le fonctionnement d’une entreprise
Peu à peu, j’ai multiplié les opportunités d’entreprendre au cours de ma scolarité. J’ai découvert alors de multiples concepts et notions. De la relation client, à la gestion de trésorerie, en passant par la recherche de fournisseurs. À très petite échelle bien entendu, mais suffisamment pour avoir une base opérationnelle. Et en dépit de mon fort affect pour l’Histoire – Géographie et la Physique – Chimie, je prenais un réel plaisir à le faire. Cela m’a ainsi permis de comprendre comment fonctionne une organisation. Qu’elle soit commerciale ou associative.
En outre, ce qui me permet de confirmer cette idée, c’est que je constate le phénomène inverse au quotidien. Grâce à mon activité de formateur, je rencontre de nombreux étudiant en première année post-bac. Et malheureusement, ils n’ont souvent aucune idée de ce qu’est vraiment une entreprise. Même s’ils sont en cours pour apprendre. Cela indique qu’ils ont fait un choix d’orientation sans avoir beaucoup de cartes en main. Sans parler de la difficulté pour eux à trouver par exemple des stages ou contrats d’alternance.
Entreprendre pour comprendre la posture de décisionnaire
Un autre apport de ces expériences juvéniles est la capacité à comprendre la posture d’un décisionnaire. Quoi de plus compliqué, quand on a 18 ans et en recherche de ses premiers stages, que de négocier avec un employeur dont on ignore tout. Dont nous ne connaissons ni le quotidien, ni les difficultés, ni les intérêts ou revendications. Et quel contraste, quand on oppose ces éléments à sa vision personnelle, très éloignée du monde professionnel.
Si je n’avais pas eu l’occasion d’adopter une posture managériale, il m’aurait été très difficile de comprendre tout cela. Surtout à cet âge-là. Cela m’a donc permis de maximiser mes chances lors de différents entretiens de motivation. De plus, toute bonne communication repose sur la compréhension de l’interlocuteur. Notamment de ses filtres de valeurs. Il semble donc important de connaître la posture de la personne qui nous recrute.
Pour finir d’illustrer cet argument, je m’appuierai sur le graphique ci-dessous. J’ai réalisé cette expérience au cours d’une conférence sur le marketing du manager. J’avais scindé l’audience en 3 groupes : des employés, des managers et des employeurs d’Apple. Je leur demandais quelles étaient leurs 3 principales attentes. Sans surprise, les résultats divergeaient beaucoup. Les employés ont pour attente principale l’équilibre vie professionnelle et vie personnelle. Les employeurs et managers ont quant à eux souci de la performance de l’entreprise. En ce sens, la différence des intérêts apparaît clairement. Mais surtout du besoin de leur identification dans le cadre d’un bon échange. Évidence ? Repensez à ce moment, où vous avez 18 ans et tout juste bachelier ! Pensez-vous vraiment que cela était aussi simple de l’appréhender ?
Entreprendre pour développer des compétences et surtout des qualités
Au-delà de certains savoirs et connaissances, c’est aussi des compétences que l’entrepreneuriat m’a permis d’acquérir. N’en déplaise aux irréductibles défenseurs de l’éducation uniquement par les savoirs. Compte tenu du contexte sociétal et technologique actuel, il me paraît plus qu’évident d’intégrer un certain nombre de compétences. Et notamment celle de l’apprentissage permanent, ou lifelong learning. En effet, face à la forte incertitude de notre environnement, nous ne pouvons faire l’impasse sur le besoin d’apprendre en continu. Les paramètres, les métiers, les besoins changent. Comment pouvons-nous faire l’autruche devant la nécessité de s’adapter ?
D’autre part, l’autonomie est essentielle pour un entrepreneur. Elle permet justement de pouvoir apprendre de nouvelles compétences et connaissances quand cela est nécessaire. De plus, l’entrepreneur a besoin de chercher continuellement les ressources manquantes ou de nouvelles parties prenantes. Si celui-ci n’est pas en mesure de le faire de lui-même, le projet ira droit dans le mur. Il en va de même pour le citoyen. Bien que la socialisation lui soit nécessaire, il doit tendre à un niveau suffisant d’autonomie pour s’accomplir. Et c’est pourquoi la rigueur est nécessaire pour maintenir les efforts continus.
Enfin, s’il y a bien une qualité à la mode, mais très utile que l’entrepreneuriat permet d’acquérir, c’est la créativité. Dans l’approche effectuale, l’entrepreneur part des ressources à disposition pour définir les buts atteignables. Tout en gérant l’incertitude et en fixant un seuil de pertes acceptables. Cette capacité à combiner les éléments disponibles est un vrai atout pour se définir un parcours de vie.
Entreprendre pour apprendre à échouer
Et dans toutes ces compétences que l’entrepreneuriat développe, l’apprentissage de l’échec semble la moins évidente. Je n’ai pas eu d’enseignements économiques ou en rapport avec l’entreprise. Comme d’autres, j’ai appris essentiellement en autodidacte, me dirigeant de fait vers les difficultés ou échecs.
Cependant, et une bonne fois pour toute, arrêtons de présenter l’échec comme quelque chose de négatif que nous devons blâmer. Bien entendu, je ne prône pas l’apprentissage de l’échec comme une finalité. Mais plutôt comme d’une attitude à maîtriser. Et surtout l’appréhension de la vraie finalité de l’échec : les leçons à en tirer. C’est grâce à cet apprentissage par l’action (learning by doing) que j’ai intégré de nombreuses notions.
En outre, déculpabiliser l’échec est nécessaire pour apprendre à encaisser et se relever après les difficultés. La vie d’une entreprise n’est pas un long fleuve tranquille. Comme la vie d’un individu en général. Expérimenter très tôt permet ainsi de mieux aborder le reste du parcours. Procurant de fait un autre avantage. En prenant de l’avance sur ces enseignements de la vie, l’individu est mieux préparé, comparé à une certaine « normalité ». Il est donc plus attractif et efficace.
Entreprendre comme source d’épanouissement et de plaisir personnel
Enfin, et c’est sans doute le plus important sur le plan personnel, entreprendre me permet de m’épanouir et jouir d’un certain plaisir. Après chaque nouveau projet, j’ai le profond sentiment d’avoir accompli quelque chose. Plus, d’en être capable ! De fait, l’entrepreneuriat correspond à un état d’esprit naturel chez de nombreux individus. L’objectif de vie principal à se fixer étant de tendre à l’harmonie avec cet état d’esprit.
D’aucuns diront que je n’ai jamais pensé à moi, eu pas assez de divertissement. Pire ! La phrase la plus vide de sens à mes yeux : « Tu es jeune, profite ! ». Mais c’est précisément ce que j’ai fait. J’adore ma vie et ce que je fais, couplé à de nombreux moments de détente. J’ai profité, mais tout en pensant à construire l’avenir. Pour moi c’est un plaisir d’autant plus fort que l’insouciance générale qui peut régner à cet âge.
En effet, le travestissement du concept de Carpe Diem n’aide pas à s’épanouir d’après moi. Si l’on traduit véritablement les vers d’Horace, nous obtenons « cueille le jour, et sois la moins confiante possible pour demain ». Ou « sois moins crédule pour le jour suivant ». Ce qui est assez différent du « Profite du jour présent, sans te soucier de lendemain » que l’on entend régulièrement. Pour rappel, Horace donne ce conseil à Leuconoe, qui n’a de cesse de consulter son horoscope. Il lui préconise surtout d’avoir une discipline de vie pour ne pas procrastiner.
Et justement « ne pas être crédule » signifie ne pas avoir une confiance aveugle. Ce qui est vrai puisque nous sommes dans un environnement de plus en plus incertain. Et grâce aux méthodes entrepreneuriales, nous apprenons à gérer cette incertitude. Elle est notre quotidien. À l’inverse, sans considération pour l’avenir : aucune entreprise ne survivrait. Et les États auraient bien plus de mal à gérer les pays.
Conclusion
Ainsi, il me semble évident qu’entreprendre très tôt a été bénéfique pour moi, et pour d’autres. Il est vrai que la posture d’entrepreneur n’est pas adaptée à tout le monde. Mais voyons l’enseignement à l’entrepreneuriat comme un outil qui sera utile toute sa vie. Y compris sur le plan personnel. Rappelons que tout le monde n’a pas un esprit pour manipuler les chiffres. Et pourtant, les mathématiques sont un outil que l’on utilise au quotidien.
Enfin, dans un contexte de rupture, tant sur le plan sociétal que technologique, les professionnels de demain ont besoin d’un certain bagage. Et même plus, des expériences de vie nécessaires à l’obtention des ressources suffisantes pour appréhender cet avenir. C’est dans ce contexte, que l’entrepreneuriat s’avère comme un moyen de donner les orientations requises.
Bien entendu, ceci n’est qu’un avis et témoignage personnel. Des recherches plus approfondies seraient bénéfiques. Notamment sur le mode et le cadre d’administration d’un tel enseignement.